Mapping Klee

Intro

Mapping Klee 05.09.20 – 24.01.21

Au début du 20ème siècle, quand apparaissent le cinéma et la photographie, la théorie de la relativité et la psychanalyse, la peinture académique n’apporte plus de réponses aux questions de la vie moderne. Les rayons X et le microscope donnent accès aux structures internes et aux éléments fondamentaux de l’existence humaine. De nombreux artistes expérimentent de nouvelles formes d’expression, au-delà de la représentation illusionniste du monde visible. Figuration ou abstraction ? Telle est la question centrale de la modernité. Paul Klee (1879–1940) y apporte sa propre réponse.

Paul Klee, Sans titre (La sœur de l'artiste), 1903, huile et aquarelle sur carton, 27,5 x 31,5 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Un portrait de la sœur de Paul Klee, datant de 1903. À 24 ans, l’artiste explique dans son journal combien il juge peu satisfaisantes ses tentatives de peinture figurative.

Paul Klee, Abstrait, cercles colorés reliés par des bandes de couleurs, 1914, 218, aquarelle sur papier sur carton, 11,7 x 17,2 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Comment une œuvre abstraite peut-elle exprimer la dynamique et la profondeur spatiale ? Dans la composition de Klee, les cercles colorés semblent se mouvoir dans l’espace pictural.

Paul Klee, Vue de Kairouan, 1914, 73, aquarelle et crayon sur papier sur carton, 8,4 x 21,1 cm Franz Marc Museum, Kochel am See, prêt à long terme de collection particulière

À 34 ans, Klee développe les fondements de son propre langage visuel en se basant sur des structures géométriques.

Paul Klee, Bateaux à voile, 1927, 225, crayon et aquarelle sur papier sur carton, 22,8 x 30,2 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Des formes abstraites sur un fond bleu – et pourtant cette composition aux formes et lignes rythmiques évoque le doux balancement des voiliers.

Paul Klee, Parc près de Lu., 1938, 129, huile et couleur à la colle sur papier sur toile de jute; cadre original, 100 x 70 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Dans la dernière période de Klee, les sonorités lyriques des couleurs sont associées à une réduction du graphisme propre aux signes, afin de rendre l’essence même des choses. Ici, la nature et la croissance ne sont pas reproduites, mais rendues visibles dans leur structure universelle.

Un portrait de la sœur de Paul Klee, datant de 1903. À 24 ans, l’artiste explique dans son journal combien il juge peu satisfaisantes ses tentatives de peinture figurative.

L’extraordinaire univers visuel de Klee résulte d’une évolution artistique complexe. Au cours de ses voyages, il reçoit des impulsions décisives dont certaines ne peuvent être transposées que des années plus tard. Les expériences faites ont un effet prolongé. Cinq de ces voyages donnent un aperçu de l’évolution de Klee – de l’étudiant perplexe et démuni à l’un des artistes les plus importants de la modernité. Mais qu’est-ce qui rend son art si singulier ?

Italie 1901

1901 Italie
Une grande perplexité

Paul Klee, Sans titre (Fleurs), um 1903, huile sur toile sur carton; cadre original, 36,5 x 31 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Paul Klee a le sentiment que l’enseignement académique reçu à Munich est dépassé. Il interrompt ses études et entreprend un voyage de formation à travers l’Italie.

  • Carte postale de Paul Klee à Hans Bloesch (Foro Romano – Tempio di Castore e Polluce), 26.11.1901 Burgerbibliothek Bern, FA Bloesch
  • Paul Klee et Hermann Haller sur le pont du Tibre, Rome, février 1902 Photographe : Karl Schmoll von Eisenwerth, Zentrum Paul Klee, Berne, Donation Famille Klee
  • Paul Klee et Hermann Haller à Rome, février 1902 Photographe : Karl Schmoll von Eisenwerth, Zentrum Paul Klee, Berne, Donation Famille Klee
  • Carte postale de Paul Klee à Mathilde Klee (Rome / Roma, Panorama du Monte Pincio), 26.01.1902 Collection privée, Suisse, en dépôt au Zentrum Paul Klee, Berne

Klee passe environ sept mois en Italie avec son ami Hermann Haller. Ils visitent les sites culturels de Pise, Rome, Naples, Pompéi et Florence. Les tableaux de la Renaissance impressionnent le futur artiste. Mais il considère que les thèmes religieux et mythologiques sont dépassés. Ce qui manque, pour lui, c’est la référence aux questions de son temps.

Voyages en Italie

Pendant des siècles, l’Italie est une destination privilégiée pour de nombreux artistes qui éprouvent le désir d’entrer en contact avec les antiquités classiques. La Grèce ayant fait partie de l’Empire ottoman jusqu’au début du 19ème siècle, c’est l’Italie, au sud de l’Europe, qui s’offre naturellement comme alternative. Albrecht Dürer, Peter Paul Rubens, Angelika Kauffmann et bien d’autres encore y trouvent des impulsions importantes pour leur développement artistique. Ils y étudient l’art et l’architecture de l’Antiquité, de la Renaissance et du Baroque.

Des érudits tels que Jacob Burckhardt, cofondateur de l’histoire de l’art, ou Johann Wolfgang von Goethe, à la fois poète et naturaliste, entreprennent des voyages d’études à travers l’Italie. Ils élaborent leurs connaissances dans des livres qui accompagnent également Paul Klee lors de son voyage en Italie. Grâce à sa lecture du « Cicerone » de Burckhardt, Klee découvre des parallèles entre les créations de l’architecture et celles de la nature. Burckhardt voit dans les édifices italiens des organismes vivants. Il invite à étudier l’« essence intime » de ces constructions sans se limiter à ce que l’œil perçoit. Klee s’intéresse aussi de près au « Voyage en Italie » de Goethe.

Italie 1 Paul Klee, Journal, novembre 1901

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« Et vouloir créer quelque chose d’inactuel me semble suspect. Grand désarroi. »

Paul Klee, Journal, novembre 1901

Ce qui vaut pour les tableaux, Klee ne l’applique pas à l’architecture de la Renaissance. Ses structures clairement définies reposent sur des lois mathématiques. Rythmes et proportions ne déterminent pas seulement les bâtiments, ils sont également rendus visibles dans la conception des façades.

Analyse de l’archi­tecture

Dans les édifices de la Renaissance Klee recherche – et découvre – des lois de composition universellement valables, susceptibles de s’appliquer à son art.

« Partout je ne vois qu’architecture, rythmes de lignes, rythmes de surfaces. »

Paul Klee, Journal, 1902
Carte postale de Paul Klee à Hans Bloesch (Firenze – La Cattedrale), 22.04.1902 Burgerbibliothek Bern, FA Bloesch Paul Klee, Santa A. à B., 1929, 170, plume et craie sur papier sur carton, 21 x 32,9 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Architecture

Pour Klee, ces structures constituent l’essence même des bâtiments. Au lieu de reproduire la surface, la tâche de l’art pourrait dorénavant consister à rendre visibles l’organisation et la structure élémentaires.

Mais Klee ne trouvera que des années plus tard des formes d’expression artistique correspondant à cette vision des choses. Dans le dessin «Santa A. à B.», il cherche à saisir l’agencement d’une ville dans sa totalité, à l’aide d’une structure de base abstraite reliant entre eux les différents éléments.

Étude de la nature

Quand il observe plantes et animaux, Klee est toujours à la recherche de lois universelles.

Il découvre que le principe d’une structure de base existe non seulement dans l’architecture mais aussi dans la nature. Le 23 mars 1902, l’artiste arrive à Naples. Il y visite l’aquarium (Stazione Zoologica di Napoli) ; ce lieu, encore ouvert au public aujourd’hui, fut fondé en 1872 par le zoologiste allemand Anton Dohrn pour promouvoir la recherche marine. Le monde sous-marin devient pour Klee l’image même de l’origine et de la diversité de la vie.

Page de couverture du guide, Stazione Zoologica di Napoli (Ed.), Guida per l'Acquario della Stazione Zoologica di Napoli Modena : 1890 Paul Klee, Hommes=poissons, 1927, 11, huile et tempera sur toile préparée sur carton, 28,5 x 50,5/51 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Le dessin figurant sur la page de couverture du guide de l’aquarium montre la diversité du monde sous-marin : escargots de mer, crabes, poulpes et poissons. Des années plus tard, Klee tire parti de cette expérience : il nous propose ici une vue dans un aquarium. Il est difficile de distinguer les visages humains des images de poissons.

Italie 2 Paul Klee, Lettre à Lily Stumpf, Munich, mardi 25 mars 1902

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« J’ai fini par succomber à une forme de religiosité et j’ai admiré cette débauche d’imagination divine en me demandant : à quoi bon ces formes et ces couleurs s’il n’y a personne pour les voir ? »

Paul Klee, Lettre à Lily Stumpf, Munich, mardi 25 mars 1902

Comme de nombreux artistes modernes, Klee recherche des formes d’expression susceptibles de rendre ce qui relève de l’élémentaire – les « éléments constitutifs de la vie ». Non pas imiter la nature, comme on le lui avait enseigné à l’Académie, mais créer quelque chose de nouveau, à l’instar de la nature : voilà le but qu’il se fixe. En lisant Johann Wolfgang von Goethe, il comprend l’intérêt qu’il y a à explorer la nature pour y découvrir des lois universelles.

Goethe : l’étude de la nature

Vers 1780, Johann Wolfgang von Goethe s’intéresse pour la première fois à la botanique. Il poursuit ces études pendant son séjour en Italie. En 1790 paraît son premier texte consacré aux sciences naturelles sous le titre «Versuch die Metamorphosen der Pflanzen zu erklären», un essai destiné à expliquer les métamorphoses des plantes. Goethe peut ainsi être considéré comme l’un des fondateurs de la morphologie comparée, laquelle tente de classer les organismes en fonction de leurs spécificités.

La lecture des écrits de Goethe conforte Klee dans sa quête de lois universelles régissant la création. Dans son exemplaire du « Voyage en Italie », il souligne la phrase : « Je soupçonne [les artistes grecs] d’avoir procédé en se conformant aux lois de la nature, lois que je cherche moi-même à découvrir. Mais il y a aussi autre chose, et cela je ne saurais le dire. » Lisant le passage où Goethe se demande s’il pourra découvrir la plante originelle, Klee note en marge, en dialecte bernois: «chasch lang luege!» [tu peux toujours chercher !]. Klee ne croit pas à l’existence matérielle d’une plante originelle, mais à une loi originelle inhérente à la nature, susceptible de donner naissance aux formes végétales les plus diverses.

Organisme

« Dans le parc de la villa Borghèse, je dessinai quelques troncs d’arbres aux formes frappantes. Les lois qui régissent les lignes, ici, sont analogues à celles du corps humain, bien que davantage liées. J’exploite aussitôt cette observation dans mes compositions. »

Paul Klee, Journal, Rome, janvier 1902
Paul Klee, Sans titre (Paysage automnal avec lac et arbres), 1902 diviser 1, huile et crayon sur carton, 28,5 x 32,5 cm Collection privée, Suisse, en dépôt au Zentrum Paul Klee, Berne

Après plus de six mois en Italie, Klee se retire dans sa ville natale de Berne. Pendant quatre ans, il vit à nouveau chez ses parents et s’efforce de continuer à se former, en autodidacte. Il étudie maintenant aussi l’anatomie – la structure interne du corps humain.

Après avoir épousé Lily Stumpf, Klee revient à Munich en 1906. À l’époque, la ville avait la réputation d’être l’une des capitales de l’art. De nombreux artistes tels que Gabriele Münter, Marianne von Werefkin, Alfred Kubin, Alexej von Jawlensky explorent de nouvelles voies, visant à dépasser l’art académique.

Der Blaue Reiter – Le Cavalier bleu

L’Association d’artistes du Cavalier bleu, un collectif informel, est fondée à Munich en 1911. Un an plus tard paraît un livre éponyme qui contient des reproductions et des textes sur les mouvements artistiques contemporains – le fameux Almanach. Les auteurs Vassily Kandinsky et Franz Marc s’intéressent au « Spirituel dans l’art ». Ils recherchent un art «authentique » susceptible de déclencher des « vibrations spirituelles » chez le spectateur. Autre aspect important de l’Almanach : il confronte et traite sur un pied d’égalité les œuvres d’art de peuples très différents, ainsi que les travaux artistiques des enfants et les productions populaires, à des époques diverses.

Parallèlement à la rédaction de l’Almanach, Kandinsky et Marc organisent deux expositions à Munich. En dehors de leurs propres œuvres, la première comprend des travaux de Gabriele Münter, August Macke, Henri Rousseau, Robert Delaunay ou Heinrich Campendonk. Au printemps 1912 a lieu une seconde exposition où Klee est présent avec quelques travaux. Les artistes du Cavalier bleu entretiennent des échanges intensifs avec d’autres mouvements d’avant-garde, notamment avec des artistes français tels que Robert Delaunay et Henri Le Fauconnier.

En 1911 Klee a fait la connaissance des deux porte-parole du Cavalier bleu, Franz Marc et Vassily Kandinsky, ce qui lui a permis d’entrer en contact avec la scène artistique munichoise. À cette époque il découvre, dans les galeries de Munich, des œuvres appartenant à l’avant-garde des artistes français.

Paris 1912

1912 PARIS
Réflexions sur le cubisme

Paul Klee, Avec l'arc-en-ciel, 1917, 56, aquarelle sur papier préparé sur carton, 17,4 x 20,8 cm Collection privée, Suisse, en dépôt au Zentrum Paul Klee, Berne

En 1912 Paul Klee entreprend un voyage à Paris. Il y voit les œuvres des cubistes et découvre chez Robert Delaunay des compositions abstraites faites de surfaces colorées.

Pendant des siècles, Rome a été la capitale des arts. Au début du 20ème siècle, des artistes venus de toute l’Europe se rendent à Paris. La métropole française devient la plaque tournante d’une avant-garde internationale. Il existe tout un réseau d’artistes et de galeristes qui constitue un véritable terreau, propice à l’émergence de nouveaux mouvements d’art moderne, lesquels sont présentés dans des expositions spectaculaires.

  • Journal intime III, no. 911-912, p. 130-131 Zentrum Paul Klee, Berne, Crédits photo: Zentrum Paul Klee, Berne, archives photographiques
  • Galerie Bernheim-Jeune
  • Daniel-Henry Kahnweiler dans l'atelier du Boulevard de Clichy 11 bpk | RMN - Grand Palais | Pablo Picasso, © Succession Picasso / 2020, by ProLitteris, Zurich Alle Urheberrechte bleiben vorbehalten. Sämtliche Reproduktionen sowie jegliche andere Nutzungen ohne Genehmigung durch ProLitteris - mit Ausnahme des individuellen und privaten Abrufens der Werke - sind verboten.

Klee note dans son journal les étapes de son voyage : il fait une promenade sur la Seine, visite entre autres le Louvre, Notre Dame et différentes galeries. Bernheim-Jeune est l’une des premières galeries à exposer – et à vendre – de l’art moderne. Klee y voit des œuvres d’Henri Matisse.

Daniel-Henry Kahnweiler ouvre sa première galerie parisienne en 1907 et devient le plus important marchand d’art moderne. Dans la « boutique » de Kahnweiler, Klee voit des tableaux d’André Derain, Pablo Picasso et Maurice de Vlaminck.

L’image : une nou­velle perspec­tive

La représentation totalement inédite de l’espace et de l’objet, que propose le cubisme, permet à Klee de s’ouvrir à une nouvelle perception du monde.

Les progrès de la modernité produisent une formidable dynamique. Cavalier bleu, futurisme, expressionnisme, fauvisme … Le temps des « ismes » est arrivé. De nouveaux mouvements artistiques naissent un peu partout. À cette époque c’est le cubisme qui domine à Paris. Dans les galeries Klee rencontre les œuvres de Georges Braque et Pablo Picasso. Grâce à la médiation de Kandinsky, Klee peut aller voir Henri Le Fauconnier et Robert Delaunay dans leurs ateliers.

Georges Braque, Le Portugais (L'Émigrant), 1911–1912, Huile sur toile, 116.7 x 81.5 cm Kunstmuseum Basel, Donation Dr. h.c. Raoul La Roche 1952, © 2020, by ProLitteris, Zurich Alle Urheberrechte bleiben vorbehalten. Sämtliche Reproduktionen sowie jegliche andere Nutzungen ohne Genehmigung durch ProLitteris - mit Ausnahme des individuellen und privaten Abrufens der Werke - sind verboten.

Le Portugais de Georges Braque n’est plus un portrait classique. La fragmentation audacieuse de la figure en plans géométriques permet au peintre d’aller au-delà de l’aspect extérieur du visible.

Pablo Picasso, bouteille, clarinette, violon, journal et verre, 1913, huile sur toile, 55 x 46 cm Kunstmuseum Bern, legs Georges F. Keller 1981, © Succession Picasso / 2020, by ProLitteris, Zurich Alle Urheberrechte bleiben vorbehalten. Sämtliche Reproduktionen sowie jegliche andere Nutzungen ohne Genehmigung durch ProLitteris - mit Ausnahme des individuellen und privaten Abrufens der Werke - sind verboten.

Picasso montre des objets qui ne sont identifiables que de façon fragmentaire. Il abolit la distinction entre l’objet et l’espace et les réunit sur un seul et même plan. La palette de couleurs est fortement réduite.

Henri Victor Gabriel Le Fauconnier, Le chasseur, vers 1912, huile sur toile, 203 x 166 cm Collection of the Gemeentemuseum Den Haag

Au centre de sa toile, Le Fauconnier peint un chasseur en pantalon blanc et bottes, avec son fusil. Mais il est très difficile d’identifier le personnage, décomposé en formes cubiques.

Le Portugais de Georges Braque n’est plus un portrait classique. La fragmentation audacieuse de la figure en plans géométriques permet au peintre d’aller au-delà de l’aspect extérieur du visible.

Cubisme

Georges Braque et Pablo Picasso développent le cubisme vers 1908. Pour représenter l’espace, ils renoncent à la perspective qui était utilisée, depuis la Renaissance, pour créer l’illusion de la profondeur dans l’image. Les objets ne sont plus appréhendés à partir d’un point de vue fixe, mais observés simultanément sous différents angles. Ce qui est représenté est décomposé en formes cubiques, donnant l’impression de structures fragmentées. Il est ainsi possible de représenter des objets tridimensionnels sur une surface bidimensionnelle sans avoir recours à une illusion d’optique. Les artistes développent alors un mode de représentation, radicalement différent, du monde visible, instaurant de nouveaux rapports entre l’espace et le temps. Même si les compositions des œuvres cubistes tendent à l’abstraction, certains motifs tels que la figure humaine et l’objet restent identifiables.

Les œuvres cubistes que Klee voit à Paris proposent une tentative radicale de penser l’image, non plus en fonction de l’objet à représenter, mais en créant de nouvelles tensions et un nouveau rapport à l’espace, à partir des éléments purement formels dont dispose l’artiste.

Klee est fasciné par la construction de l’espace pictural qui n’est plus liée à la perspective centrale. Il critique néanmoins l’extrême fragmentation des objets et des figures. Ce qui amène à s’interroger sur la peinture et à poser la question décisive : l’image a-t-elle encore besoin d’un objet à représenter ?

Paris 1 Paul Klee, Die Alpen (revue), exposition « Moderner Bund » au Kunsthaus de Zurich, n° 12, août 1912

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« Détruire en vue de construire ? Manifester de l’indifférence vis-à-vis de l’objet et en même temps lui faire de la publicité en le maltraitant délibérément ? »

Paul Klee, Die Alpen (revue), exposition « Moderner Bund » au Kunsthaus de Zurich, n° 12, août 1912

Profondeur de l’image

Cette œuvre montre de quelle manière Klee aborde la question de l’espace et de la profondeur juste après son séjour à Paris. Dans le dessin à la plume, simplifié, les détails disparaissent derrière la composition. Klee s’en tient toujours à la vieille astuce de la perspective centrale pour représenter la force d’attraction qu’exerce la ligne de fuite des bâtiments. Il ne parviendra que plus tard à transposer la représentation cubique de l’espace dans ses propres compositions.

Paul Klee, Réverbère dans la ville, 1912, 72, aquarelle, plume et crayon sur papier sur carton, 12,9 x 16,2/15,6 cm Zentrum Paul Klee, Berne, dépôt de collection particulière
Paul Klee, Sans titre, 1914, 152, plume sur papier sur carton, 19.8 x 15 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Au début, c’est la structure linéaire du cubisme que Klee reprend dans des représentations graphiques.

Paul Klee, Avec le drapeau rouge, 1915, 248, aquarelle, huile et crayon sur carton préparé, 31 x 26 cm Zentrum Paul Klee, Berne, Donation Livia Klee

Dans le cubisme il existe certaines formes picturales particulières : les toiles ovales. Klee, quant à lui, crée un tableau octogonal où la composition, contrairement aux œuvres cubistes, n’est pas subordonnée au format. Les formes rectangulaires sont tronquées par les bords.

Paul Klee, Conformation d'une ville au clocher vert, 1919, 191, aquarelle, gouache et plume sur papier sur carton, 30.3 x 13 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Dans cette architecture urbaine, Klee décompose les bâtiments en fragments. Les maisons sont dépliées sur la surface picturale et représentées sous différentes perspectives. Dans cette œuvre, Klee exploite les impulsions du cubisme – sept ans après son séjour à Paris !

Au début, c’est la structure linéaire du cubisme que Klee reprend dans des représentations graphiques.

Disso­lu­tion de l’objet

La rencontre avec les œuvres de Robert Delaunay est pour Klee une révélation. L’objet, dans l’image, perd sa signification.

Le 11 avril 1912 Paul Klee rend visite à l’artiste dans son atelier parisien. Il y voit les fameuses Fenêtres dans lesquelles Delaunay prolonge le cubisme. Ce dernier retranscrit la vue qu’il a depuis sa fenêtre à l’aide de champs colorés abstraits et s’efforce de représenter la division du spectre lumineux à partir des couleurs.

Robert Delaunay, Fenêtres ouvertes simultanément (1ère partie 3ème motif), 1912, huile sur toile, 457 x 375 mm Photo ©Tate.

Cette série des « Fenêtres » a été commencée en 1909 ; elle a pour principal motif la tour Eiffel.

Robert Delaunay, Formes circulaires, 1912, tempera et huile sur toile, 65 x 54 cm Kunstmuseum Bern

À partir de 1912, Delaunay fait évoluer ses « Fenêtres » jusqu’à en faire de pures abstractions, les « Formes circulaires ».

Cette série des « Fenêtres » a été commencée en 1909 ; elle a pour principal motif la tour Eiffel.

Delaunay travaille exclusivement à partir de couleurs et de formes réduites. Klee apprécie davantage ces compositions abstraites de champs colorés que les œuvres purement cubistes qu’il considère comme incohérentes dans la mesure où des objets y sont représentés.

Paris 2 Paul Klee, Die Alpen (revue), exposition « Moderner Bund » au Kunsthaus de Zurich, n° 12, août 1912

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« L’artiste qui a remédié à cette incohérence, après y avoir longuement travaillé, est Delaunay, l’un des esprits les plus brillants de notre époque. Il a donné une solution d’une radicalité saisissante en créant le type du tableau autonome, se passant de motifs empruntés à la nature pour lui donner une existence entièrement abstraite. »

Paul Klee, Die Alpen (revue), exposition du « Moderner Bund » au Kunsthaus Zurich, n° 12, août 1912
Paul Klee, Abstrait, cercles colorés reliés par des bandes de couleurs, 1914, 218, aquarelle sur papier sur carton, 11,7 x 17,2 cm Zentrum Paul Klee, Berne

En 1914 Klee se rapproche bel et bien des tableaux de Delaunay et les transpose en compositions dynamiques personnelles, faites de couleurs et de formes abstraites.

Paul Klee, Avec l'arc-en-ciel, 1917, 56, aquarelle sur papier préparé sur carton, 17,4 x 20,8 cm Collection privée, Suisse, en dépôt au Zentrum Paul Klee, Berne

Klee reprend la dynamique et la couleur des « Formes circulaires » de Delaunay et les agence en bandes anguleuses et colorées.

En 1914 Klee se rapproche bel et bien des tableaux de Delaunay et les transpose en compositions dynamiques personnelles, faites de couleurs et de formes abstraites.

Champs de couleur

C’est aux théories de Delaunay et à son œuvre que Klee doit sa nouvelle approche de la couleur, de la lumière et de l’abstraction. Il ne parvient cependant que plus tard à traduire ses impressions de villes et de lumière en images abstraites, animées d’une réelle dynamique.

Tunisie 1914

1914 TUNISIE
Découverte de l’architecture urbaine

Paul Klee, (Dans le style de Kairouan, transposé dans un registre modéré), 1914, 211, aquarelle et crayon sur papier sur carton, 12,3 x 19,5 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Le voyage en Tunisie de Paul Klee est devenu un mythe. On l’associe à la percée de l’artiste dans le domaine de la couleur. Mais c’est en réalité l’architecture cubique de la Tunisie qui inspire à Klee un nouveau mode de composition.

  • Paul Klee et August Macke pendant la traversée en bateau Marseille-Tunis (album de photos d’August Macke), avril 1914, photographe : Louis Moilliet LWL-Museum für Kunst und Kultur, Westfälisches Landesmuseum, Münster /Macke-Archiv, crédit photo : LWL-Museum für Kunst und Kultur, Westfälisches Landesmuseum, Münster /Sabine Ahlbrand-Dornseif
  • Paul Klee et August Macke avec un guide touristique devant la mosquée du Barbier, à Kairouan (album de photos d’August Macke), avril 1914, photographe : Louis Moilliet LWL-Museum für Kunst und Kultur, Westfälisches Landesmuseum, Münster /Macke-Archiv, crédit photo : LWL-Museum für Kunst und Kultur, Westfälisches Landesmuseum, Münster /Sabine Ahlbrand-Dornseif
  • Paul Klee sur la plage de St. Germain (album de photos d’August Macke), avril 1914, photographe : August Macke LWL-Museum für Kunst und Kultur, Westfälisches Landesmuseum, Münster /Macke-Archiv, crédit photo : LWL-Museum für Kunst und Kultur, Westfälisches Landesmuseum, Münster /Sabine Ahlbrand-Dornseif
  • Paul Klee et August Macke avec leurs ustensiles de peinture (album de photos d’August Macke), avril 1914, photographe : August Macke LWL-Museum für Kunst und Kultur, Westfälisches Landesmuseum, Münster /Macke-Archiv, crédit photo : LWL-Museum für Kunst und Kultur, Westfälisches Landesmuseum, Münster /Sabine Ahlbrand-Dornseif
  • Carte postale de Paul Klee à Louise Frick (Tunis, minaret de la Grande Mosquée), 12.04.1914 Collection privée, Suisse, en dépôt au Zentrum Paul Klee, Berne

En 1914 Klee se rend en Tunisie avec les peintres Louis Moilliet et August Macke. Pendant deux semaines, ils empruntent les itinéraires touristiques habituels – de Tunis à Kairouan en passant par St. Germain et Hammamet. Moilliet, qui a déjà séjourné en Tunisie en 1908 et 1909, assume le rôle de guide de voyage.

Le voyage en Tunisie

En 1910 on peut voir à Munich l’exposition « Chefs-d’œuvre de l’art islamique » qui marque durablement Kandinsky, Marc et Macke. Klee ne mentionne pas l’événement. Les arts de l’Orient musulman ne semblent pas l’avoir particulièrement intéressé. Ce qui l’impressionne le plus lors de ses voyages en Tunisie et, plus tard, en Égypte, ce sont les paysages et l’architecture urbaine, ainsi que les couleurs et la lumière de ces pays.

De nombreux artistes et connaissances proches de Klee se rendent en Afrique du Nord, passée sous la domination coloniale de la France et donc accessible aux Européens. Ils y recherchaient des stimulations, loin des canons du classicisme, et jouissaient de certaines libertés dérogeant aux règles sociales habituelles. En 1904/05, Kandinsky et Münter visitent la Tunisie pendant plusieurs mois. La future épouse de Macke, Elisabeth Gerhardt, séjourne elle aussi à Tunis avec sa mère. Moilliet se rend en Tunisie en 1908 ; là-bas, il est l’hôte du couple bernois Dr. Ernst et Rosa Jäggi-Müller et leur rend à nouveau visite en 1909/10, pour plusieurs mois.

Le projet d’un « voyage d’études » commun en Tunisie, où l’on « se stimule l’un l’autre », s’élabore à l’initiative de Klee. Le voyage doit être financé par des mécènes et grâce à des échanges de tableaux. August Macke parvient à financer lui-même son voyage car il vend déjà bien. Louis Moilliet sollicite l’aide du Dr. Jäggi qui prend en charge une partie des frais du voyage et héberge également Klee et Moilliet dans son appartement de Tunis.

Contrairement à ses amis, Louis Moilliet ne peint que trois aquarelles durant cette période. Au bout de quelques jours seulement, Macke déclare qu’il ressent au travail une joie encore jamais éprouvée auparavant. C’est un aquarelliste remarquable qui représente des scènes de rue dans des couleurs vives et éclatantes. À ce moment-là, Klee est encore très hésitant dans le maniement de la couleur.

August Macke, Marché à Tunis I, 1914, aquarelle et touches de blanc couvrant sur crayon sur carton aquarelle, 29 x 22,5 cm collection privée, courtesy Thole Rotermund Kunsthandel, Hambourg

Dans des aquarelles et des dessins, August Macke enregistre les nouvelles impressions suscitées par le monde oriental.

Louis Moilliet, Saint-Germain près de Tunis, 1914, aquarelle sur papier,20,7 x 26,6 cm Zentrum Paul Klee, Berne, © 2020, by ProLitteris, Zurich Alle Urheberrechte bleiben vorbehalten. Sämtliche Reproduktionen sowie jegliche andere Nutzungen ohne Genehmigung durch ProLitteris - mit Ausnahme des individuellen und privaten Abrufens der Werke - sind verboten.

Louis Moilliet ne peint que rarement à un tel niveau d’abstraction et de réduction. Sous l’influence de Macke, il travaille sur le contraste du jaune et du bleu.

Paul Klee, Aux portes de Kairouan, 1914, 216, aquarelle sur papier sur carton, 20,7 x 31,5 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Contrairement à Macke, Klee s’intéresse peu aux nouveaux motifs. Il expérimente surtout un nouveau mode de composition en se basant sur des structures simples.

Dans des aquarelles et des dessins, August Macke enregistre les nouvelles impressions suscitées par le monde oriental.

L’archi­tecture du tableau

À Tunis, Klee est fasciné par l’architecture locale, basée pour l’essentiel sur des formes blanches et cubiques.

Carte postale de Paul Klee à Hans Klee (Kairouan, panorama), 12.04.1914 Collection privée, Suisse, en dépôt au Zentrum Paul Klee, Berne Paul Klee, Vue de Kairouan, 1914, 73, aquarelle et crayon sur papier sur carton, 8,4 x 21,1 cm Franz Marc Museum, Kochel am See, prêt à long terme de collection particulière

Tunisie Paul Klee, Journal, 8 avril 1914, Tunis

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« Me suis attaqué à la synthèse de l’architecture de la cité et de l’architecture du tableau. »

Paul Klee, Journal, 8 avril 1914, Tunis

Synthèse

Dans la simplicité géométrique des bâtiments Klee distingue des structures abstraites. Ce qu’il avait pressenti en Italie, 13 ans auparavant, devient ici une certitude : il découvre des parallèles entre une architecture urbaine et l’architecture du tableau – la structure d’une composition abstraite. Klee interrompt prématurément son voyage pour transposer les découvertes récentes dans son atelier munichois.

« Je ressens une certaine inquiétude, ma charrette est trop pleine, je dois me mettre au travail. Finie la grande chasse. Il me faut maintenant dépecer le gibier. »

Paul Klee, Journal, 19 avril 1914, Tunis

En Afrique du Nord Klee atteint l’essence de son langage plastique auquel il continuera à travailler jusqu’à la fin de sa vie : grilles et structures abstraites couvrent la surface picturale, laissant sans cesse réapparaître des traces de figuration.

Paul Klee, (Dans le style de Kairouan, transposé dans un registre modéré), 1914, 211, aquarelle et crayon sur papier sur carton, 12,3 x 19,5 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Cette composition vit de la diversité et des différents degrés d’intensité des couleurs dans le clair-obscur, ainsi que des contrastes de formes (cercles et rectangles).

Paul Klee, , 1915, 117, aquarelle sur papier sur carton, 20,5 x 11,2 cm Collection privée, Suisse, en dépôt au Zentrum Paul Klee, Berne

Les formes géométriques rappellent l’architecture : les triangles, par exemple, évoquent des pignons et le rectangle vertical une tour. Chez Klee, ce qui semble être une image abstraite n’est jamais complètement déconnecté de la réalité. Le titre souligne encore ce rapport au réel : « représentation urbaine ».

Paul Klee, Jardin zoologique, 1918, 42, aquarelle sur papier préparé sur carton, 17,1 x 23,1 cm Zentrum Paul Klee, Berne

À la fin de la Première Guerre mondiale Klee peint des aquarelles aux couleurs vives et aux motifs très imaginatifs. À l’arrière-plan, des surfaces géométriques colorées constituent une sorte de structure sur laquelle apparaissent des éléments figuratifs comme des animaux, des végétaux, des montagnes ou un œil.

Paul Klee, Physionomie d'une ville (gradation en rouge-vert) [à la coupole rouge], 1923, 90, huile sur carton sur contreplaqué; cadre original, 46 x 35 cm Zentrum Paul Klee, Berne, Donation Livia Klee

Au cours des années 1920 Klee peint de plus en plus de tableaux abstraits. Les demi-cercles, ici, font néanmoins allusion à des éléments architecturaux tels que la coupole, ce qui transparaît également dans le titre.

Cette composition vit de la diversité et des différents degrés d’intensité des couleurs dans le clair-obscur, ainsi que des contrastes de formes (cercles et rectangles).

Pour Klee l’abstraction ne s’oppose pas à la figuration. Contrairement aux principales tendances artistiques de l’époque, il développe un style qui combine des éléments figuratifs et abstraits.

Le Sud de la France 1927

1927 LE SUD DE LA FRANCE
Observer de nouveaux rythmes

Paul Klee, Bateaux à voile, 1927, 225, crayon et aquarelle sur papier sur carton, 22,8 x 30,2 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Depuis 1921 Klee travaille comme professeur au Bauhaus où il enseigne la théorie de la mise en forme picturale. Les voyages dans le Sud le distraient agréablement de son enseignement.

Klee est au sommet de sa carrière. Sa nomination au Bauhaus ne signifie pas seulement pour lui la sécurité sur le plan matériel, elle fait aussi de lui l’un des artistes les plus importants de son époque.

Avec ses artistes internationaux, l’institution est le point d’ancrage de l’architecture et de l’art modernes. On y débat des questions fondamentales de la création et de la conception : dans quelle mesure les interactions entre couleurs, formes et structure peuvent-elles être redéfinies pour que puissent s’y exprimer les exigences de la vie moderne ?

Le Bauhaus

C’est sous la direction de l’architecte Walter Gropius que naît en 1919, à Weimar, une institution dédiée à la théorie artistique et au design, et dotée d’une mission pédagogique. Les formations artistique et artisanale doivent être menées de pair, l’objectif étant de parvenir à une interaction pratique entre l’art, l’industrie et la vie sociale. La liste des maîtres du Bauhaus se lit comme un «Who is Who» du modernisme : Josef Albers, Lyonel Feininger, Johannes Itten, Paul Klee, Vassily Kandinsky, László Moholy-Nagy, Oskar Schlemmer, Gunta Stölzl. De même que Munich et Paris, le Bauhaus devient la plaque tournante d’une avant-garde internationale où sont expérimentées de nouvelles formes d’expression artistique et de véritables réformes de la vie en société.

Au Bauhaus Klee peut renouer le contact avec son ami Kandinsky. À Dessau, ils deviennent voisins et habitent une « maison de maître ». Les relations entre les deux artistes s’intensifient grâce à leur proximité sur le plan privé. Ils boivent le thé ensemble et se retrouvent pour fêter Noël et la Saint-Sylvestre. Ils sont liés par une relation amicale, mais distante et polie. À Munich Kandinsky, qui a 13 ans de plus que Klee, était incontestablement l’artiste le plus connu des deux ; mais au Bauhaus, ils se situent sur un pied d’égalité. La mission artistique de Kandinsky est de développer un art non figuratif censé transmettre des valeurs spirituelles. Klee, quant à lui, recherche l’équilibre entre l’abstraction et la figuration. Dans ses cours, Kandinsky enseigne le respect de règles de mise en forme plutôt strictes, alors que Klee propose aux étudiants différentes possibilités parmi lesquelles il leur faut faire leur propre choix.

Paul Klee et Vassily Kandinsky, Burgkühnauerallee 6-7, Dessau, 1929, photographe: Nina Kandinsky? Centre Pompidou, MnamCci, Paris, Bibliothèque Kandinsky

Mais malgré tout l’enthousiasme que suscitent ces échanges sur le plan esthétique, le règlement pédagogique et la quantité des tâches qui lui incombent sont pour Klee une charge bien lourde. Il est fatigué et se sent à l’étroit. Ses activités d’enseignant lui prennent beaucoup de temps et son travail artistique en pâtit.

Lors de ses voyages dans le Sud, Klee récupère. En 1927 il séjourne à Porquerolles, dans le sud de la France. Il peint et dessine peu et profite surtout de la chaleur du climat et de la bonne nourriture.

  • Paul Klee sur le bateau le menant de Portoferraio (Elbe) à Piombino, 1926, photographe inconnu Zentrum Paul Klee, Berne, Donation Famille Klee
  • Karla Grosch et Paul Klee sur l’île de Porquerolles, 1927, photographe : Felix Klee Zentrum Paul Klee, Berne, Donation Famille Klee, © L’administration de la Succession Paul Klee, Hinterkappelen
  • Porquerolles, 1927, photographe inconnu Zentrum Paul Klee, Berne, Donation Famille Klee
  • Paul Klee sur l’île de Porquerolles, entre le 28.7. et le 6.8.1927, photographe : Felix Klee Zentrum Paul Klee, Berne, Donation Famille Klee, © L’administration de la Succession Paul Klee, Hinterkappelen

Le Sud de la France Paul Klee, lettre à Lily Klee, Porquerolles, mercredi 10 août 1927

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« Et tout tient au coloris, c’est ce que je ne cesse de rechercher : réveiller des sonorités qui sommeillent en moi – petite ou grande aventure en couleurs. »

Paul Klee, lettre à Lily Klee, Porquerolles, mercredi 10 août 1927

Rythme

Durant ses vacances en Méditerranée Klee observe les voiliers sur l’eau. Vers 1927, ce motif qui le fascine fait de plus en plus souvent partie de son univers pictural. Dans ces tableaux, les courbes s’opposent aux formes anguleuses. Et en même temps, lignes et formes évoquent le doux balancement des bateaux.

Paul Klee, Départ des bateaux, 1927, 140.1 (D 10), huile sur toile sur bois, 50 x 60 cm Zentrum Paul Klee, Berne
Paul Klee, Voiliers légèrement balancés, 1927, 149, plume sur papier sur carton, 30,5 x 46,3 cm Zentrum Paul Klee, Berne
Paul Klee, Bateaux à voile, 1927, 225, crayon et aquarelle sur papier sur carton, 22,8 x 30,2 cm Zentrum Paul Klee, Berne
Paul Klee, Bateau-récif, 1927, 215, craie sur papier sur carton, 21 x 33,1 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Klee découvre dans le voilier un motif idéal pour illustrer l’idée qu’il se fait du rythme et du mouvement. Ce n’est pas un hasard si l’on peut aussi interpréter ces motifs, dans les dessins, comme les mouvements d’une baguette.

Paul Klee musicien

Klee vient d’une famille de musiciens. Son père est professeur de chant, sa mère chanteuse. Il commence à jouer du violon à l’âge de sept ans. À la fin de ses études secondaires, il s’imagine assez bien devenir musicien professionel – mais se décide pour la peinture. Il jouera du violon jusqu’à la fin de sa vie. Klee transpose dans son œuvre picturale des éléments propres à la musique tels que le rythme, la cadence et la polyphonie (superposition des voix) : il a recours à des lignes souples ou anguleuses, mais aussi à la couleur et à des contrastes de clair-obscur. Il utilise régulièrement des termes musicaux dans ses titres.

Quintette dans l’atelier de l’École de dessin et de peinture d’Heinrich Knirr à Munich, 1900, photographe inconnu Zentrum Paul Klee, Berne, Donation Famille Klee

Mouvement

« Tout devenir repose sur le mouvement. »

Paul Klee, Credo du créateur, 1920

Pour Klee le mouvement est la condition indispensable à toute forme de vie et donc aussi à tout type de conception. « Le mouvement est la norme » – cette phrase clef se situe au cœur de ses réflexions sur la création plastique. Dans ses cours au Bauhaus, il s’inspire également des écrits scientifiques de Goethe et n’explique pas seulement le mouvement à partir d’exemples musicaux, mais aussi à partir de la croissance des plantes ou celle du corps humain.

Paul Klee, Théorie de la mise en forme picturale: I.4 Structure Zentrum Paul Klee, Berne

Égypte 1928

1928 ÉGYPTE
Conforté dans la nécessité de simplifier

Paul Klee, Projet, 1938, 126, couleur à la colle sur papier sur toile de jute; cadre original, 75,5 x 112,3 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Klee découvre dans les hiéroglyphes, notamment, une source concrète qui va alimenter sa création. Mais le paysage lui inspire aussi des compositions abstraites.

  • Carte postale de Paul Klee à Lily Klee (Le Caire / Cairo, Citadel and Egyptian Cemetery), 26.12.1928 Zentrum Paul Klee, Berne, Donation Famille Klee
  • Carte postale de Paul Klee à Lily Klee (Le Caire / Cairo, Native Turners), 29.12.1928 Zentrum Paul Klee, Berne, Donation Famille Klee
  • Carte postale de Paul Klee à Felix Klee (Le Caire / Cairo, The Sphinx and Pyramids), 25.12.1928 Zentrum Paul Klee, Berne, Donation Famille Klee

Du 17 décembre 1928 au 17 janvier 1929, Klee voyage à travers l’Égypte : Le Caire et Alexandrie ainsi que Louxor, Karnak et Assouan, villes situées plus au sud. Il compare ses impressions avec celles de son premier voyage en Orient et trouve les mosquées du Caire trop kitsch et trop baroques.

Mais quand il poursuit son voyage dans le Sud de l’Égypte, les effets du choc culturel ressenti au Caire s’estompent. Il se sent mieux dans ce nouvel environnement et commence à apprécier l’identité africaine – qu’il nomme « nubienne » – des habitants de Louxor, Karnak et Assouan.

La compo­sition du paysage

Contrairement aux architectures urbaines abstraites, peintes à l’aquarelle en plein air lors du voyage en Tunisie, Klee traduit a posteriori dans son atelier les impressions reçues en Égypte, pour en faire des compositions géométriques strictes.

Carte postale de Paul Klee à Lily Klee (Egypte / Egypte, Paysage montrant des pyramides), 27.12.1928 Zentrum Paul Klee, Berne, Donation Famille Klee Paul Klee, Monument dans la contrée fertile, 1929, 41, aquarelle et crayon sur papier sur carton, 45,7 x 30,8 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Autour du Nil, Klee perçoit dans le paysage un rythme qu’il transpose en peinture. Des strates horizontales structurent l’espace pictural. Elles sont fondées sur un rythme numérique simple : les plans sont divisés en 2, 4, 8 ou 16 éléments. L’artiste peut ainsi transcrire un rythme musical dans l’image.

Créa­tion de nou­veaux signes

Grâce à sa découverte des hiéroglyphes égyptiens, le signe acquiert pour Klee une nouvelle signification.

Dès la Première Guerre mondiale, Klee avait expérimenté l’emploi de chiffres et de lettres dans ses travaux. Inspiré par les caractères arabes, les hiéroglyphes égyptiens et les dessins préhistoriques sur pierre, il introduit dans son œuvre tardif ses propres caractères et symboles.

Signes

Paul Klee, Légende du Nil, 1937, 215, pastel sur coton sur couleur à la colle sur toile de jute, 69 x 61 cm Fondation Hermann et Margrit Rupf, Kunstmuseum Bern

La ligne a pour Klee une signification particulière. Elle est un médiateur entre les mondes visible et invisible. L’artiste représente les hommes, les animaux et les végétaux avec un minimum de traits. Jusqu’à sa mort en 1940, la ligne reste l’élément formel central de son œuvre.

À partir de la ligne, Klee crée des symboles intemporels et universels compréhensibles par tous, indépendamment de l’âge et de l’arrière-plan culturel de la personne. Ils ont une grande puissance évocatrice et laissent le champ libre aux interprétations individuelles.

Ligne

Paul Klee, Parc près de Lu., 1938, 129, huile et couleur à la colle sur papier sur toile de jute; cadre original, 100 x 70 cm Zentrum Paul Klee, Berne

Un point se met en mouvement sans but précis et va ainsi former une ligne – c’est à ce phénomène que s’intéresse Klee. Le mouvement et le processus lui importent davantage que le résultat lui-même, qui reste en suspens jusqu’à la fin. C’est bien le caractère ouvert de l’œuvre qui la rend aussi actuelle et intéressante. Klee indique des voies sans prévoir le but.

Klee est un exemple intéressant pour de nombreux artistes de l’après-guerre qui cherchent à prendre leurs distances vis-à-vis des « ismes » de la modernité. Car il montre différentes façons de transposer en un langage visuel personnel certaines des impulsions reçues de la culture ou des sciences naturelles.

« L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. »

Paul Klee, Credo du créateur, 1920

Conseil d'initié

Conseil d'initié

En 2019 le Zentrum Paul Klee envoie plus de 130 œuvres de sa collection en tournée au Brésil. L’exposition Equilíbrio Instável (Équilibre instable), qui s’arrête à São Paulo, Rio de Janeiro et Belo Horizonte, reçoit plus de 500.000 visiteurs. Compte tenu des récents événements politiques au Brésil et de l’impact qui en résulte sur la vie culturelle, ce projet aura offert au public brésilien une rare occasion de voir des œuvres originales de Klee.

L’énorme popularité dont Paul Klee jouit au Japon est un phénomène étonnant. De nombreux écrivains, collectionneurs d’art et artistes japonais ont fait des recherches intensives sur Klee. À partir de 1960 de grandes expositions Klee sont régulièrement organisées au Japon. Klee n’est pas seulement montré dans les musées, mais aussi dans les centres commerciaux. Les chercheurs expliquent ce succès par le fait que le langage plastique de Klee révèle des parallèles avec les traditions esthétiques du Japon. Éléments calligraphiques, compositions harmonieuses et œuvres ouvertes, laissant une grande marge à l’interprétation – tout cela, le public japonais le retrouve dans sa propre tradition.

Paul Klee – Equilíbrio Instável, Centro Cultural Banco do Brasil, São Paulo, 12.02. – 29.04.19